Baudelaire IV
Un sonnet qui figure dans la lettre que Baudelaire adresse à son demi-frère Alphonse le 31 décembre 1840.
Il est de chastes mots que nous profanons tous ;
Les amoureux d’encens font un abus étrange.
Je n’en connais pas un qui n’adore quelque ange
Dont ceux du Paradis sont, je crois, un peu jaloux.
On ne doit accorder ce nom sublime et doux
Qu’à de beaux cœurs bien purs, vierges et sans mélange.
Regardez ! il lui pend à l’aile quelque fange
Quand votre ange en riant s’assied sur vos genoux.
J’eus, quand j’étais enfant, ma naïve folie
— Certaine fille aussi mauvaise que jolie —
Je l’appelais mon ange. Elle avait cinq galants.
Pauvres fous ! nous avons tant soif qu’on nous caresse
Que je voudrais encor tenir quelque drôlesse
A qui dire : mon ange — entre deux draps bien blancs.
Charles BAUDELAIRE.