Baudelaire X
A THEODORE DE BANVILLE
Vous avez empoigné les crins de la Déesse
Avec un tel poignet, qu’on vous eût pris, à voir
Et cet air de maîtrise et de ce beau nonchaloir,
Pour un jeune ruffian terrassant sa maîtresse.
L’œil clair et plein du feu de la précocité,
Vous avez prélassé votre orgueil d’architecte
Dans des constructions dont l’audace correcte
Fait voir quelle sera votre maturité.
– Poète, notre sang nous fuit par chaque pore –
Est-ce que par hasard la robe du Centaure
Qui changeait toute veine en funèbre ruisseau
Etait teinte trois fois dans les baves subtiles
De ces vindicatifs et monstrueux reptiles
Que le petit Hercule étranglait au berceau ?
Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal, Poèmes Divers, juillet 1845.
* Théodore de Banville (1823-1891) est un dramaturge, critique et poète français. Il fut l'un des chef de file du parnasse auquel, dans son oeuvre, il unit le romantisme. Ami de Baudelaire, il reçut ce sonnet en juillet 1845 et décidé de l'insérer dans l'édition des Fleurs du Mal de 1868.